You are currently viewing Dette publique, marchés, et inégalités | Economie

Dette publique, marchés, et inégalités | Economie

“La plupart des riches ont été pauvres ; ils ont senti l’aiguillon du besoin ; ils ont longtemps combattu une fortune ennemie, et, maintenant que la victoire est remportée, les passions qui ont accompagné la lutte lui survivent ; ils restent comme enivrés au milieu de ces petites jouissances qu’ils ont poursuivi quarante ans.”

– Alexis de Tocqueville, Chapitre X, Livre II.

Cet article a été publié initialement pour CoinTribune, en date du 13/08/2003, par Thomas ANDRIEU : SOURCE.

A translation is available at the bottom left by clicking on “languages”

Les études les plus récentes tendent à montrer les conclusions les plus stupéfiantes sur la question des inégalités. Les inégalités ne seraient pas le seul fait de l’évolution de la productivité globale de l’économie, mais plutôt le résultat de la déstabilisation du système des prix. Les inégalités sont la composante de tout marché, avec une répartition des ressources selon les compétences et pouvoirs de chacun. Néanmoins, les données récentes montrent que l’État et les banques centrales sont les principaux déterminants du niveau des inégalités. La déstabilisation du système monétaire apparaît dès lors comme un risque majeur de déstabilisation sociale.

La nature de notre système monétaire.

La plupart des individus ont un raisonnement biaisé par l’idéologie concernant les inégalités, ignorant tout ou presque de ce qui détermine l’écart de richesse entre les agents. Les dernières décennies, marquées par la surabondance de dépenses et de dettes publiques, ont marqué l’accentuation de processus économiques plus ou moins connus. Les données récentes démontrent bien l’existence d’une déstabilisation du système des prix, ce qui résulte inévitablement dans des inégalités.

La face cachée de l’économie d’État…

L’histoire économique la plus lointaine semble nous rappeler toujours la même intrigue : les périodes de forte déstabilisation du système des prix, en particulier dans le cadre de l’inflation des actifs, débouche sur des inégalités criantes. Ce constat est évidemment à l’encontre de certains courants de pensée, et pourtant la situation actuelle relève entièrement de ce mécanisme.

D’une part, on notera en effet que la variation de la masse monétaire est très corrélée à l’évolution des performances des indices boursiers, en particulier à long terme. Une étude simple du coefficient de Pearson entre la masse monétaire M2 et le S&P 500 pour les États-Unis sur 2015-2021 permet de mettre en évidence que la corrélation entre monnaie en circulation et indices boursiers dépasse 96% ! Dès lors, pour faire monter les indices boursiers, il suffit de créer de la monnaie. À long terme, les indices boursiers ne suivent pas les dividendes, ni réellement les performances économiques, mais bien la masse monétaire.

D’autre part, au-delà même de ces observations, on notera également une corrélation exacerbée entre la masse monétaire et la dette publique. Entre 1981 et 2021, le taux de corrélation entre la masse monétaire (M2) et la dette publique aux États-Unis est de près de 99,4% ! Les statistiques parlent d’elles-mêmes : une hausse de la dette publique implique une hausse de la masse monétaire, qui implique elle-même une hausse des indices boursiers, et inévitablement une hausse des inégalités de patrimoine. En France, le taux d’épargne des 20% les plus riches est 10 fois supérieur au taux d’épargne des 20% les plus pauvres. Cette évidence économique montre nécessairement que la hausse du prix des actifs implique la hausse des inégalités.

L’échec de la théorie monétaire moderne.

Ces dernières décennies sont le fait de politiques keynésiennes à outrance, avec de fortes dépenses publiques sans limite réelle. Ce phénomène est difficilement soutenable à long terme car il contribue à la faiblesse de l’inflation structurelle et de la croissance, et accroît les inégalités. La théorie monétaire moderne théorise l’idée selon laquelle les gouvernements peuvent dépenser sans compter avec des taux perpétuels à 0%. Des taux éternellement faibles augmentent le risque de perte de contrôle monétaire dans le temps avec l’apparition d’un déficit structurel du fait de la chute de vélocité ou bien de l’inflation, ce qui est dangereux. Cette théorie prône ainsi les dépenses sans limites, considérant que l’inflation est maîtrisable à travers la taxation. Un tel système favoriserait les mêmes inégalités que les gouvernements chercheraient à détruire. Le fait est que ces hypothèses sont statistiquement plutôt fausses. La théorie monétaire moderne apparaît comme une radicalisation des politiques keynésienne dont l’efficacité ne fait que chuter depuis près de 90 ans [voir article].

À l’opposé, nous avons la théorie de concurrence monétaire, qui plutôt que de redonner le pouvoir monétaire aux États, envisage de le confisquer aux banques centrales pour le donner au secteur privé. C’est aussi la portée implicite fondamentale des cryptomonnaies [voir article]. Portée par des économistes comme Friedrich Hayek, un tel système permettrait peut-être une meilleure stabilité du système des prix et une allocation des ressources exclusivement tournée vers la croissance.  

Inégalités, taux, dette et inflation.  

En théorie, les banques centrales agissent indépendamment des États, en tous cas en Europe. Les statistiques montrent évidemment que ce fait n’est absolument pas avéré, et que les banques centrales sont entièrement dépendantes ou presque des besoins de financement des États. Cela facilite notre compréhension du système monétaire et du lien étroit qui existe entre inégalités, dette, taux et inflation.

La question des inégalités.

En respectant l’étude du coefficient de Pearson, on observe le lien direct qui existe entre inégalités et dette publique. La première statistique évidente à mettre en évidence est le lien étroit entre la part des actifs détenus par les 1% les plus riches et la dette publique. Entre 1990 et 2021 pour les États-Unis, la corrélation entre la part des actifs détenus par les 1% les plus riches et la dette publique est de très exactement 97%. Au-delà même de cela, la corrélation entre la dette publique et l’indice de GINI pour les États-Unis sur la période de 1968 à 2018 dépasse 87%. De toutes évidences, on ne plus nier le rôle majeur de la dette publique dans la formation des inégalités.

Au cours du XXe siècle, Simon Kuznets avait avancé l’idée selon laquelle la croissance creusait dans un premier temps les inégalités, avant que celles-ci se réduisent par la suite. Les différentes données historiques montrent en effet que les plus grandes fortunes se sont formées durant la diffusion des plus grandes innovations. La croissance économique détermine ainsi les secteurs de concentration des richesses, tandis que les gouvernements eux-mêmes détermineraient les niveaux de richesses concentrées.

De leur côté, les théoriciens modernes des inégalités comme Thomas Piketty ont mis en avant le fait que les périodes de réduction des inégalités ont été celles des années 1920 ou encore la période d’après la Seconde Guerre mondiale, avec une hausse de l’impôt sur les plus fortunés. Ce constat doit impérativement être accompagné des données de déficits publics qui ont été en excédent sur ces périodes (1920-1930 et forte réduction historique du déficit entre 1945 et 1948 pour les États-Unis avec des excédents en 1948, 1949, 1950, etc…).

Quel est le lien avec les taux et l’inflation ?

Nous pouvons avancer notre étude plus en détail encore. À long terme, il existe un lien direct entre l’évolution des taux d’intérêt et l’endettement des États. Des taux élevés traduisent une réticence forte de l’État à emprunter, car on sait que la plupart de la dette est accumulée du fait des taux d’intérêt. À l’inverse, des taux faibles traduisent un fort besoin de financement de la part de l’État. La faiblesse prolongée des taux encourage ainsi la hausse de la dette publique et des inégalités.

D’un autre côté, les taux d’intérêt évoluent en lien à l’inflation, avec des écarts plus ou moins grands selon les époques. On notera ainsi le fait que les périodes de stagflation, c’est-à-dire de forte inflation et de faible croissance (1813, 1864, 1920, 1973) s’accompagnent généralement d’un fort déficit public et d’une forte vitesse préalable de circulation de la monnaie.

En effet, depuis la crise de 1929, une corrélation particulièrement notable s’est accrue. En outre, on observe une corrélation particulièrement élevée entre les déficits publics et la vélocité ou vitesse de circulation de la monnaie. La corrélation entre la moyenne mobile de la vélocité et des déficits approche de 80% sur la seule période 2003-2021. La très large majorité de la chute de vitesse de circulation de la monnaie ces dernières années est donc le fait des déficits publics. La hausse de la dette publique modifie donc l’équilibre des systèmes de prix, ce qui affecte directement la vélocité ou vitesse de circulation de la monnaie.

Conclusion

En vérité, on ne voit d’autre constat que la question des inégalités est un mythe d’État. Paradoxalement, les États ignorent tout ou presque des actions qu’ils défendent et méconnaissent les conséquences de leurs politiques qu’ils dénoncent. Les inégalités actuelles s’expliquent principalement par la hausse de la dette publique qui conduit à la hausse des actifs, augmentant inévitablement les inégalités de patrimoine. La mise en avant de ces corrélations économiques permet de saisir la nature réelle de notre système monétaire centralisé : les inégalités proviennent de la déstabilisation du système des prix (des actifs), tandis que les déficits ont un impact direct sur les taux, l’inflation, et la vitesse de circulation de la monnaie. Ces considérations permettent d’ouvrir de nouvelles conclusions plus fascinantes encore.