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L’analyse harmonique des cycles de marché | Finance

L’analyse harmonique en finance est une méthode utilisée par de rares analystes. Pourtant, l’utilisation des systèmes harmoniques est souvent fondamentale chez les plus brillants analystes. Parmi les plus grands noms qui ont utilisé l’analyse harmonique en finance, on peut citer JM Hurst, Benoît Mandelbrot (1924-2010), et probablement William Delbert Gann (1878-1955). Bien que l’analyse harmonique demeure plus complexe que la plupart des autres méthodologies, sa faible application dans la finance contemporaine n’arrange pas les choses pour le grand public. Cependant, ce système d’analyse est très efficace sur de nombreux actifs et permet d’optimiser considérablement son timing de marché. Décryptage d’une méthodologie ancienne et qui pourrait à elle seule « remplacer » les traditionnels modèles probabilistes.

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1 | Une histoire de l’analyse harmonique…

L’objectif de cet article pour le lecteur ne sera pas nécessairement de maîtriser l’utilisation de la méthodologie harmonique. Il s’agit avant tout de maîtriser le concept sous-jacent. En effet, ce que l’on désigne communément comme « analyse harmonique » fait référence à des calculs mathématiques décrits par la « décomposition en séries de Fourier ». On doit cette méthodologie au mathématicien français Joseph Fourier, développée au début du XIXe siècle. Le principe mathématique est relativement simple : on admet qu’une variable quelconque (la température de l’air, la chaleur…) peut s’exprimer comme la combinaison d’une multitude de cycles. Certains cycles sont alors plus ou moins longs dans le temps, et plus ou moins amples dans l’espace.

De nos jours, l’utilisation concrète de la théorie du signal est absolument partout dans nos vies. On utilise ainsi l’analyse des signaux dans les télécommunications, l’imagerie médicale, les micros, les sonars et les radars, etc. Pour l’anecdote, il est par exemple possible de représenter absolument tous les types d’œuvres d’art visuellement, uniquement à l’aide d’un signal de Fourier. Ce concept physique a été à l’origine de révolutions technologiques absolues et l’intérêt de son utilisation dans la finance est certainement plus grand encore.

Successivement diplomate durant la campagne d’Egypte de Napoléon, professeur à la nouvelle Ecole Polytechnique puis préfet de l’Isère puis du Rhône, c’est en 1807 que l’on retrouve ses premiers travaux sur l’étude des signaux.

Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830)

Ainsi, Joseph Fourier a essentiellement cherché à généraliser la théorie du mathématicien Pierre Simon de Laplace avant lui. Philosophiquement, l’analyse des cycles n’est pas neutre. Effectivement, Pierre Simon de Laplace était un fervent défenseur du déterminisme dur. L’idée selon laquelle le futur est exactement prévisible, si l’on connaît toutefois toutes les conditions historiques, est fondamentale à l’étude des cycles.

Dès lors, l’analyse harmonique en finance considère que les cycles passés seront amenés à se reproduire dans l’avenir. Cette théorie n’est pas immédiatement opposée à la théorie des probabilités, qui admet quant à elle l’impossibilité de connaître toutes les causes historiques pour déterminer l’avenir.

En ce sens, il faut probablement percevoir l’étude des cycles comme un complément indispensable à l’étude des probabilités.

Habituellement, on parle donc d’harmoniques pour désigner l’existence de plusieurs cycles liés entre eux. Par exemple, on peut supposer qu’il existe un cycle inflationniste de 10 ans, que l’on peut décomposer en deux cycles de 5 ans chacun. L’analyse harmonique est souvent utilisée en musique ou dans les technologies sonores (militaires, acoustiques…) pour reconnaître les ondes (les cycles) qui composent un signal.

2 | La décomposition en séries de Fourier (ou décomposition en cycles)

Mais alors de quoi parle-t-on lorsque qu’on traite de « séries de Fourier » ? Là encore, le plus simple pour saisir la théorie est de représenter graphiquement une décomposition en séries de Fourier. En vérité, parler de « séries de Fourier » n’est pas très différent de l’idée de parler de « décomposition en cycles ».

« Les équations analytiques, inconnues des anciens géomètres, que Descartes fut le premier à introduire dans l’étude des courbes et des surfaces, ne se bornent pas aux propriétés des figures, et à celles qui font l’objet de la mécanique rationnelle ; elles s’étendent à tous les phénomènes généraux. Il ne peut y avoir de langage plus universel et plus simple, plus exempt d’erreurs et d’obscurités, c’est-à-dire plus digne d’exprimer les rapports invariables des choses naturelles.« 

Joseph Fourier, dans sa Théorie Analytique de la Chaleur, 1822.

En outre, nous devons rappeler les trois paramètres fondamentaux qui définissent un cycle : l’amplitude, la période, et la temporalité. Ce sont les trois paramètres qui entrent en compte dans l’équation mathématique d’un cycle. Tout d’abord, la périodicité désigne la période sur laquelle une vague complète est parcourue. C’est la différence de temps entre deux sommets, ou plus généralement, la différence de temps entre deux points bas. Ensuite, l’amplitude désigne la hauteur qui sépare le point bas du cycle du point le plus haut. Enfin, la temporalité désigne le moment où un cycle se situe dans le temps. Il s’agit généralement du moment où le sommet prend effet. 

Graphique montrant un signal composé de six harmoniques (noir) et visualisation des trois premiers harmoniques.

Le principe théorique de Joseph Fourier était le suivant : tout signal peut se décomposer en plusieurs cycles (harmoniques). A titre d’exemple, nous avons représenté en noir un signal quelconque… Il peut s’agir par exemple du cours d’un actif financier pour lequel on reconnaît des régularités et des figures techniques propres (épaule tête épaule inversée, double bottom, figure d’élargissement, mémoire des supports et des résistances…). Ce signal représenté en noir est composé de six harmoniques dont nous avons affiché les trois harmoniques les plus influents sur le graphique. On remarque alors qu’un cycle seul n’est pas suffisamment fiable pour expliquer les mouvements de l’actif, mais que la somme de ces cycles donne un aperçu assez exact de la réalité. C’est là tout le génie de cette méthode : prise individuellement avec des outils basiques, l’analyse des cycles paraît trop inexacte… Mais avec l’utilisation d’outils mathématiques complexes, les cycles paraissent plus précis qu’aucune autre méthode pour modéliser les cours boursiers.

Exemple d’un spectre harmonique du signal précédent

On parle ainsi de « spectre harmonique » pour désigner la représentation graphique des paramètres des cycles composants un signal. Ainsi, on peut lire sur le graphique ci-dessus la période en abscisse, et l’amplitude en ordonnée, de chacun des six cycles composant le signal noir précédent. On remarque généralement en finance, surtout à partir de données courtes, que le spectre harmonique suit la loi de puissance (courbe rouge). Cela traduit le phénomène suivant : les cycles dont la période est la plus longue sont aussi en général les cycles qui ont le plus d’influence sur le cours de l’actif. Réciproquement, les cycles de période plus courte sont moins influents sur le prix et feront varier le prix de l’actif avec de petites proportions.

Ainsi, plus les cycles courts sont influents (moins la courbe rouge est pentue), plus on dit de l’actif qu’il est « volatile » et qu’il subit des variations extrêmes sur de courtes périodes. Paradoxalement, un actif peu volatile est un actif dont la répartition de l’influence des cycles est très inégale : seuls une fraction des cycles longs concentre la majeure partie des explications de la variation de l’actif. L’inégalité fonde la stabilité. De même, un actif sera jugé peu régulier si l’amplitude et la période de ses cycles est amenée à varier. Certains actifs ont par exemple acquis une cyclicité très stable, avec des cycles dont la période et l’amplitude est constante, ce qui permet de projeter de manière fiable les retournements de prix qui pourraient se produire dans l’avenir. Dès lors, l’analyse harmonique « remplace » à elle seule le calcul de volatilité, les calculs de probabilités et plusieurs autres méthodes quantitatives : c’est un système cohérent en soi.

3 | Exemple de décomposition de cours du pétrole WTI sur Excel

Ce qui était autrefois calculé sur plusieurs jours peut désormais être réalisé en quelques heures au plus. Comme l’a souligné le mathématicien Benoît Mandelbrot, l’apparition de l’algorithme a permis d’automatiser la décomposition en séries de Fourier. Cela a laissé la possibilité aux rares analystes de l’époque de développer largement l’utilisation des cycles en finance. Désormais, il est possible de réaliser de manière simplifiée une analyse harmonique des cours boursiers, en particulier sur Excel. En mathématiques, on parle de FFT pour « Fast Fourier Transform » (Transformation Rapide de Fourier).

Afin de réaliser une analyse harmonique sur des historiques financiers, il est d’abord nécessaire de se procurer les données sur un fichier Excel. Le graphique ci-dessous montre l’historique de cours du pétrole WTI. Ensuite, pour lisser le cours du pétrole et simplifier le calcul, nous avons réalisé la moyenne des deux derniers mois sur le cours du pétrole (colonne G). Lorsque ce travail de récupération des données est effectué (la moyenne n’est pas forcément indispensable), on réalise un second tableau avec les données nécessaires à la décomposition. Dans notre exemple, nous avons récupéré le cours journalier du pétrole WTI entre juillet 2020 et juillet 2022. On passe ensuite à l’étape suivante.

Tableau 1 de la première étape pour réaliser une FFT

Tout d’abord, on note dans un tableau la fréquence d’échantillonnage. Ici, la fréquence d’échantillonnage correspond au nombre de périodes de cotation sur notre période de référence. Comme nous voulons exprimer notre fréquence en années, nous prenons le nombre de cotations journalières du pétrole sur un an. Il y a donc environ 263 jours de cotation du pétrole chaque année (colonne L). Par la suite, nous avons besoin du nombre d’échantillons. C’est l’ensemble des données qui seront considérées par l’algorithme pour décomposer le cours du pétrole (il doit s’agir d’une puissance de 2). Une fois ce travail réalisé, nous faisons le rapport entre la fréquence et le nombre d’échantillons : ce sera le nombre référentiel de notre analyse harmonique.

Nous pouvons alors passer à l’analyse de Fourier. Pour cela, il faut sélectionner l’option utilitaire d’analyse en haut à droite dans la rubrique « Données ». Lorsque l’utilitaire d’analyse est ouvert, il faut sélectionner la liste FFT. Pour démarrer le programme de décomposition rapide de Fourier, on sélectionne l’ensemble des données du cours du pétrole de fin juin 2022 en remontant jusqu’à juillet 2020 (512 données). L’algorithme nous renverra une liste de nombre complexes (colonne Q). Pour lire ces nombres complexes, on commence par classer chaque complexe de 0 à 512 dans notre exemple. On obtient alors la fréquence associée à chaque nombre complexe en multipliant le pas d’échantillonnage (0,51) par « K », la position de chaque complexe. Mais les colonnes FREQUENCE et COMPLEX (P et Q) ne sont pas explicites et nous permettent pas de lire la cyclicité de l’actif.

Tableau 2 de la deuxième étape pour réaliser une FFT

Pour finaliser notre travail, on exprime dans la colonne « PERIOD » (colonne U) l’inverse de la fréquence. C’est la période de chaque cycle exprimée en années (« =1/FREQUENCE »). Ainsi, la troisième ligne correspond à un cycle d’une période de 1,95 ans, la quatrième ligne à une période de 0,97 ans et ainsi de suite… Enfin, on cherche à obtenir l’amplitude de chaque cycle dont nous avons défini la période. Pour obtenir l’amplitude, c’est-à-dire l’influence de chaque cycle, on utilise la fonction « =COMPLEXE.MODULE(P2) ». On obtient alors l’amplitude (l’importance) de chaque cycle à partir de la liste des nombres complexes.

Présentation du travail final | Cycles dominants du pétrole WTI sur la période mi-2020 à mi-2022

On peut enfin représenter avec un graphique les deux dernières colonnes U et V. On obtient alors en abscisse la période des cycles, et en ordonnées l’amplitude de ceux-ci. En termes techniques, c’est le spectre de l’analyse harmonique. On remarque alors que le cycle de plus influent est un cycle de quasiment 2 ans, suivi d’un cycle de quasiment 1 an. Effectivement, j’ai été comme souvent agréablement surpris en découvrant que ce sont des cycles que j’avais déjà observé et déjà noté à partir d’une simple étude graphique du pétrole WTI. L’analyse harmonique à l’avantage de donner avec exactitude les périodes et les influences de ces cycles, et de faire ressortir une « infinité » d’autres cycles.

Une fois que nous disposons de « la carte d’identité cyclique » de l’actif, nous pouvons à la fois mener une étude rétrospective (mesurer la volatilité de l’actif, la fiabilité de sa cyclicité…) et une étude prospective (quels pourraient être les retournements à venir du marché).

4 | Réflexion et remarques relatives à l’analyse harmonique…

Comment se concrétise alors l’utilisation de l’analyse harmonique dans ses analyses quotidiennes ? Comme cité précédemment, les analystes les plus brillants comme JM Hurst ou Benoît Mandelbrot ont eu recours à ces méthodes, ainsi que probablement William Gann. Aujourd’hui encore, certains rares analystes utilisent cette méthodologie. Premièrement, un moyen d’utiliser l’analyse harmonique consiste à modéliser les cours passés par une fonction de cycles afin de détecter des figures techniques par exemple. Nous devons en effet rappeler que l’ensemble des figures techniques peuvent s’exprimer par une fonction cyclique précise. Deuxièmement, un autre moyen d’utiliser l’analyse harmonique est de considérer que les cycles les plus fiables seront en mesure de nous donner de manière fiable les prochains retournements du marché. On extrapole donc une partie réduite des cycles qui nous permettront d’optimiser significativement le timing du marché.

Dans le cas du pétrole WTI, en dépit du fait que l’étude porte sur seulement deux années de statistiques, la corrélation aux cours passés deux trois premiers cycles est significative. Le dernier cycle de deux ans indiquait un sommet majeur en février 2020 et un plus bas en décembre 2020/janvier 2021. Le sommet qui suivait ce cycle de deux ans était février 2022, et le prochain plus bas devrait être le tout début 2023. Cela corrèle avec le cycle de 1 an dont le dernier plus bas était en janvier 2022, et le prochain sommet est attendu très prochainement au moment de la rédaction en juin 2022. Quoiqu’il en soit, l’utilisation des cycles est extrêmement vaste et l’analyse harmonique n’est qu’une partie, effectivement indispensable, de la modélisation des dynamiques de marché.

Pour aller plus loin | Publications relatives à l’analyse harmonique en finance

Mais terminons par une réflexion plus personnelle et philosophique. Il paraîtra toujours plus aisé à un homme de considérer comme acquis le hasard, plutôt que de songer à l’existence d’un mécanisme toujours plus grand qui dépasse sa connaissance. Il y a deux manières de voir le monde : ou bien vous considérez que l’Histoire présage l’avenir, ou bien vous partez du postulat que le passé ne présage en rien l’avenir. Dans les deux cas, il existe des méthodes cohérentes avec leur propre efficacité. La première méthode passe par l’utilisation des cycles, la seconde par l’utilisation des probabilités. Néanmoins, il paraîtra toujours à un individu que les évènements qu’il connaît durant sa vie sont « sans précédent », car il ignore l’Histoire longue. En d’autres termes, il existera toujours un cycle plus long dont l’influence supérieure se manifestera dans le présent comme un « évènement exceptionnel ». Il en est ainsi du cycle des guerres, des explosions volcaniques, des famines, des catastrophes naturelles, des civilisations, des espèces, etc… Aux yeux de l’Histoire des cycles, le hasard paraît à chaque fois plus réduit. Le hasard est une vaste escroquerie menée habilement par l’effet de l’oubli… Mais voilà : on ne peut connaître tous les cycles, et bien qu’on puisse supposer ceux qu’on a jamais connu, le hasard ne pourra jamais être entièrement nié et représente cette part éternelle d’inconnu.

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​THOMAS ANDRIEU 

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